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Ti-Léon et le pipiri chantant

Serge Restog

 

 

 

 

 

 

Ti-Léon et le pipiri chantant, Serge Restog • Les Editions Loëdyn • 2019 •
ISBN 978-2-490180-21-9 •

Ti-Léon et le pipiri chantant

«La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’Ar- ticle 41 d’une part que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, que les analyses et courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans consentement de l’auteur ou de ses ayants-droits ou ayants-cause, est illicite (alinéa premier de l’Article 40).» Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal.

Chapelet était esclave sur l'habitation. Il était esclave, mais il était un grand initié. Il avait eu tout son savoir de son grand-père qui était un chef de tribu.

Chapelet gardait toujours son air impassible et froid, même sous les coups de cravache qu'on lui donnait pour qu'il garde la cadence de travail. Il le gardait cet air, même sous le fer chaud qu'on lui appliquait sur le dos pour le marquer, même sous les paroles humiliantes qu'on lui lançait à longueur de journée, même sous les crachats qu'on lui jetait au visage. On avait l'impression qu'il marmonnait des paroles entre ses lèvres et cela énervait encore plus ses maîtres. Il avait l’air de toujours dire son chapelet.

C'est pour cela qu'on l'avait surnommé Chapelet. Tout le monde disait qu'il s'agissait de mots magiques. Ces mots magiques lui donnaient le courage de vivre et de dépasser son asservissement, sa malédiction, sa fatalité. Ces mots magiques le rendaient plus fort. Ces mots magiques le rendaient insensible à toutes les agressions extérieures.

Chapelet aimait beaucoup la nature. Il parlait aux oiseaux. Ils étaient si bons copains que les oiseaux l'accompagnaient sur son lieu de travail. Ce travail était pénible. Les coups des maîtres étaient violents. Chapelet répétait inlassablement ces mots magiques et les oiseaux du haut des arbres chantaient comme pour l'encourager.

Parmi eux, tout le temps, un oiseau nommé Pipiri lui demandait:

«Comment fais-tu pour ne plus sentir les coups de fouet?
Comment fais-tu pour trouver la vie belle dans cette vie d'esclave que tu mènes?»

Chapelet répondit un jour:

«Je suis mis en esclavage, mais je ne suis pas un esclave. Je suis libre dans ma tête.
Personne n'a jamais pu enchaîner ma tête
Même si j'ai les mains liées et les jambes enchaînées, je reste toujours libre de penser. Personne ne peut savoir ce à quoi je pense, ce à quoi j'ai pensé ou bien ce à quoi je penserai.»

L'oiseau, pour le remercier de cette brillante leçon, lui chanta une chanson:

«Être en esclavage n'est pas etre esclave.
Il vaut mieux être mis en esclavage
Que d'être esclave,
Esclave de sa condition,
Esclave de ses convictions,
Esclave de sa religion,
Esclave de sa passion,
Esclave de ses ambitions,
Esclave de ses prétentions...»

Tout le monde avait remarqué la disparition soudaine de Chapelet. Personne n'avait su ce qui s'était passé. Le secret avait été bien gardé. Certains pensaient que Chapelet s'était enfui de l'habitation. Il était devenu nègre marron.

Ils pensaient que Chapelet était de ceux qui battaient le tambour. Un tambour qui transmettait des nouvelles, de morne en morne, sur la situation très proche de briser les chaînes de l'esclavage. Le tambour parlait des exploits de nos héros extraordinaires, superbes, sublimes. Le tambour décrivait nos héros dans leur bravoure, dans leur acte de guerre. C'était la guerre.

C'était la guerre. 

Il fallait briser les chaînes de l'esclavage.

Et le tambour disait:

«Qui sont nos héros?
Nos héros sont des hommes et des femmes illettrés, 
des sauvages, 
des hommes et des femmes sans bonnes manières.
L'esclavage ne leur en a pas données.
Des hommes et des femmes qui manient le bâton, les cailloux,
le coutelas, la torche enflammée, contre des canons, 
pour arracher eux-mêmes
leur liberté.

Qui sont nos héros? 
Nos héros sont des Neg nwè, 
des Caraïbes, 
des Indiens
qui ont toujours, le même adversaire,
le même ennemi, le même exploiteur.

Qui sont nos héros? 
Nos héros font partie de ceux
que l'on nomme des assassins,
dé vakabon, 
des marginaux, 
des minoritaires.

Qui sont nos héros? 
Il faudrait les nommer. 
Il faudrait les faire connaître, 
Dèdet, Charlo, Kazimi, Izidò, Estanislas, Aleksann, Zita.
Parce qu’un peuple ne vit pas sans héros. 
Un peuple ne vit pas sans ses propres héros.»

Pipiri alla chanter, par un curieux hasard, à la fenêtre de Ti-Léon. Ti-Léon reconnut dans le chant, les mots de sa mère. Elle les lui répétait journellement. Ti-Léon décida de répondre au chant de Pipiri en disant les mêmes paroles:

«Être en esclavage n'est pas être esclave.
Il vaut mieux être mis en esclavage 
Que d'être esclave,
Esclave de sa condition,
Esclave de ses convictions,
Esclave de sa religion,
Esclave de sa passion,
Esclave de ses ambitions,
Esclave de ses prétentions...»

Les paroles étaient les mêmes!

Pipiri crut qu'il s'agissait de Chapelet.

Il chercha d'où venait le chant. Il chanta encore le même air.

Lorsque le chant fut terminé, Pipiri questionna Ti-Léon:

- Qui es-tu, pour connaître ainsi ces paroles d'un sage?

- Je m'appelle Ti-Léon, fils de Isabelle Grégoire Eustanie esclave de Monsieur Sansopati de la Trimelière.

- Qui t'a appris ces paroles de philosophe?

- C'est ma mère, Mathy, qui me les répétait journellement.

Pipiri lui demanda:

- Où est ton père?

- Mon père s'est enfui dans les bois.

Il est aujourd'hui, nègre marron.
J'entends chaque jour le tambour qui résonne dans le lointain.
C'est lui qui m'annonce que le jour est proche.
Le jour qui nous apportera la liberté est imminent.

Pipiri lui répondit:

«Je voudrais te confier un secret.
Je sais où est ton père. 
Si tu veux le savoir, suis-moi!»

Pipiri conduisit Ti-Léon près du fromager géant. Là, coule une rivière qui s'étale paresseusement dans la plaine dans un glougloussement sans fin.

Il lui dit:

«Je vais te raconter l'histoire de mon ami Chapelet esclave sur l'habitation.....:

Des hommes blancs s'emparèrent d'un immense trésor qu'ils récupérèrent dans un galion. Ce galion avait fait naufrage non loin de la côte. Ces hommes transportèrent le trésor jusque dans un bois.

Ils décidèrent d'enterrer le trésor sous un gros arbre nommé le fromager géant.

Les hommes blancs commencèrent à creuser. Le sol était dur. Le soleil était brulant. Le courage leur manquait. Ils étaient incapables de creuser ce trou. Ils abandonnèrent vite cette pénible besogne.»

L'un d'eux dit:

«J'ai un esclave nommé Chapelet. Il est grand. Il est fort. Il nous fera un grand trou en une minute.

Les hommes allèrent chercher Chapelet. Ils l'emmenèrent sur les lieux. Chapelet creusa un grand trou en une minute.

Les hommes, dans l'immense trou, enfouirent l'extraordinaire trésor.

Ils tuèrent Chapelet. Ils l’enterrèrent, dans ce même trou, pour que le secret ne s’éparpille pas.

Voici l’histoire que je m’étais promis de répandre dans tous les mornes et les quartiers.»

Pipiri demanda à Ti-Léon de creuser la terre pour retrouver son père.

Ti-Léon creusa.

Ti-Léon ne trouva pas son père.

Il n'y avait pas une seule trace. Par contre, il trouva l'extraordinaire trésor.

Il prit la prudente précaution d'enterrer le somptueux trésor dans un autre trou, ailleurs, beaucoup plus loin.

Ti-Léon jura à Pipiri d'en faire bon usage, lorsque le grand jour serait là. Le grand jour est celui qui nous apportera la Liberté.

Ce grand jour est imminent,
parce que le tambour qui résonne chaque jour,
dans le lointain,
l'a dit.

*

 Viré monté