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Lettre à Marie-Célie Agnant

Ricot Marc Sony

Publié le 2020-04-29 | Le Nouvelliste

Marie-Célie Agnant

Chère Marie-Célie Agnant, au moment où je vous écris cette lettre, je vérifie dans cette vieille horloge accrochée au mur de mon salon, il est quatorze heures. La lumière pénètre à flots par les fenêtres. J'entends sans cesse le cri des oiseaux dans les branchages et le bruit des mangues qui tombent sur les feuilles mortes dans mon magnifique jardin. L'électricité est rétablie après plus d’une semaine. Je m'assois à ma table de lecture.

Devant moi, il y a ancien numéro du magazine LIRE. Sur la couverture, le visage de Le Clézio, consacré par ses lecteurs comme le meilleur écrivain Français de sa génération. À ma droite, quatre recueils de poèmes “Mamòte" de Billy Doré, "Pye Poudre" d’André Fouad, le dernier livre de Manno Ejèn, "Pwezi pou Anwoule tan", et l'"Éternité des cathédrales" d’Adlyne Bonhomme.

J’adore le texte de Billy Doré, il est nourri d’images originales. C'est une œuvre pionnière de cette nouvelle génération. Certains jeunes écrivains sont très ambitieux et montrent un immense talent littéraire. Cette génération combat à travers ses écrits la corruption, l'inégalité sociale, l'exploitation, le néo-duvaliérisme et l'injustice. Ma sensibilité de lecteur s’attache à la journaliste Jessica Nazaire, une poétesse remarquable.

Elle a écrit un recueil de poèmes intitulé "Pwa Grate" que je viens de relire et qui a été l’objet d’une critique élogieuse dans la presse haïtienne. Son talent a été immédiatement reconnu par de nombreux écrivains. 

En voici un extrait:

“M bliye si Leta aloufa
si salè minimòm pa klete rèl
si faktori pa gagari mizè
m bliye si bò isit
se pou mò yo fè kanpay”

L'horloge sonne quinze heures. Je sirote ma tasse de café tout en lisant les infos sur mon téléphone. Plus de 200.000 morts dans le monde! C'est le nouveau bilan de cette sale pandémie, qui éloigne l'homme de l'homme. Une pandémie qui insère un caillot de sang dans la gorge de l'humanité. Il est indéniable que seule une conscience universelle peut endiguer cette crise sanitaire. Les Haïtiens sont devenus plus vulnérables. La semaine dernière ma voisine faisait l'éloge de l'actuel gouvernement. Selon elle, ce dernier allait distribuer deux mille gourdes aux plus démunis. Aujourd'hui, elle boude, elle n'a rien reçu; au contraire, le coût de la vie a augmenté. ‘’Se pou pòch yo yo wè’’, se plaint-elle. Elle est désespérée. À chaque tic-tac du temps, elle engueule ses enfants pour un rien comme si elle avait perdu sa tête. Sa colère est féroce, excessive, elle exprime la misère et le désespoir.

Je m'assois maintenant  à l'ombre d'un manguier et j’ouvre mon récepteur de radio et roule "Big man do cry" de Dominique Fils-Aimé et je pense à vous. Je pense à vous parce que vous avez joué un grand rôle dans ma vie de lecteur. Je souhaite de tout cœur qu’il ne vous arrive rien. C'est grâce à votre plume et votre finesse d'esprit que je suis arrivé à comprendre ce qu'avait été la dictature sanguinaire des Duvalier. Vous êtes une écrivaine de la mémoire. Une mémoire que vous avez réinventée pour toutes les générations à venir.

La dernière fois que j'ai eu de vos nouvelles c'était à la fin de ce terrible mois tragique de mars. Vous m'avez envoyé un message rempli de sagesse. J'ai à coeur la réflexion suivante:  "Je fais de la méditation car c'est aussi le temps d'une réflexion un peu plus profonde sur l'existence humaine". Je pense à vous sans cesse. Vous êtes l'une des mentors de toute cette nouvelle génération, cette génération qui est en quête du grand vent de l'espoir.

*

 Viré monté