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Histoire de la Guadeloupe
Février 2020

Le 27 Juin 1635

Yance, L’Olive et  Duplessis

Hector Poullet

   

Arawak - Histoire spirituelle des Antilles et de la Guyane. - Très brève relation de la destruction des Indes.

Ne nous demandez pas comment nous nous appelons, nous ne vous dirons jamais nos vrais noms, sauf si vous deveniez pour nous «comme père1» et qu’alors nous décidions d’échanger avec vous nos noms: vous vous appelleriez par notre nom et nous par le vôtre.

Pour l’heure, appelez-moi Acomat et mon jeune frère Mahogany, ce sont des noms d’arbres de Kaloukaéra2.

Notre père, lui, s’était fait appeler Yance.

Yance n’était, évidemment, pas son vrai nom, mais seulement celui qu’il s’était fait donner afin que les Français comprennent qu’il avait la France en haute estime: Yance comme pour dire France!

Yance, notre père, détestait Anglais, Hollandais et plus encore Portugais et Espagnols qui, depuis quelques temps déjà, sévissaient avec brutalité dans toutes les iles environnantes et même en terre ferme.

Notre père pensait que les nouveaux venus, les Français donc, étaient habités par Zemeen, l’Esprit du Bien, alors que tous les autres étrangers l’étaient par l’Esprit du mal: Mapoya!

De nombreux Caciques, Capitaines de gommiers3, du Conseil des Anciens ne partageaient pas cet avis.

Quelques-uns, surtout les plus jeunes, comme mon frère et moi, pensaient que les envahisseurs quels qu’ils fussent, étaient à mettre dans le même katàoli4 et qu’il aurait fallu les traiter tous, les Français compris, en ennemis des Kalinago.

Certain disaient même:

— Il faut massacrer les Franjes, avant qu’ils ne nous massacrent, comme ils l’ont déjà fait tout récemment avec nos voisins de Lianmniga5!

C’était également la recommandation de notre Boyé.6

Mais notre père était le plus respecté de tous les membres du Conseil et le Boyé lui-même, s’inclinait devant ses décisions.

Aussi quand les dénommés L’Olive et Duplessis sont arrivés avec leurs deux navires chargés de colons de tout acabit, déjà affamés, épuisés par une longue traversée, notre père nous a demandé de l’accompagner pour leur aller souhaiter la bienvenue, nous lui avons, mon frère et moi, tout naturellement obéi.

Nous sommes allés avec lui jusqu’à leur campement à la Pointe Caouanne7.

Nous leur avons offert ce que nous avions de mieux ce jour-là: un hamac tissé de fils de coton, un cochon sauvage que nous avions chassé le matin même dans les bois de la Cabesterre, et un plein plateau d’aleba-marou, des cassaves fraîchement faites sur nos platines8 par les femmes de notre Carbet9.

En échange nous avons reçu de la part de ces gens-gagés10 venus d’ailleurs, un étrange collier de cachoulou11 avec une grosse croix en bois, quelques petites clochettes qui tintinnabuleraient à nos oreilles pendant nos fêtes et nos danses, et surtout… une pleine fiole de leur ratafia12!

Nous sommes repartis sur notre pirogue.

Un malfini13, présage de Huricane14, planait au-dessus de nos têtes.

Nous avions le bizarre  pré-sentiment qu’il se préparait, pour nous peuple Kalina, des lendemains qui ne chanteraient guère.
Comme qui dirait: «Plus tard, plus triste».15

* * *

Notes

  1. Comme père: Il était de tradition chez les Caraïbes que deux alliés s’échangent leur nom, ils devenaient alors «Compères».
     
  2. Kaloukaéra: nom kalina de la Guadeloupe.
     
  3. Gommier: grande pirogue à hauts rebords pour se déplacer d’ile en ile.
     
  4. Katàoli: hotte de portage ouverte. En créole de Guyane katouri do.
     
  5. Lianmniga ou Liamaiga désigne l’ile de Saint-Christophe aujourd’hui Saint Kitts.
     
  6. Boyé ou Piaye est le Prêtre sorcier ou Chamane en communication avec les Esprits de l’au-delà.
     
  7. Caouanne: grosse tortue de mer. La Pointe Caouanne aujourd’hui Pointe Allègre à Sainte Rose.
     
  8. Platine: plateau rond en terre cuite servant à faire cuire les cassaves.
     
  9. Carbet désigne à la fois la maison commune, la maison du Conseil  et même le village.
     
  10. Gens gagés, en fait  Engagés,  dits également «Trente-six mois», sont les nouveaux colons qui avaient un contrat pour être  au service de la Compagnie pendant trois années.
     
  11. Cachoulou: perle de verre.
     
  12. Ratafia: mauvais alcool. En créole tafya.
     
  13. Malfini,  il s’agit ici de la frégate des mers ou peut-être du mansfenil petit épervier des montagnes.
     
  14. Huricane,  Dieu des vents, a donné le mot Ouragan.
     
  15. «Plus tard, plus triste» dicton créole qui prédit le pire pour l’avenir.

Zémi, petits objets de forme triangulaire à trois pointes. Zémi désignaient aussi les divinités bénévoles. Photo Francesca Palli.

*

 Viré monté