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Décembre 2018

Le dernier «Suisse» d’église en Guadeloupe

Dans la petite église de Port-Louis en Guadeloupe, pendant la messe de Confirmation, tandis que l’Evêque, Monseigneur Gay, et le Curé de la Paroisse, le père Barbotin, deux Blancs-France en habits sacerdotaux,  officiaient afin de faire descendre l’Esprit Saint sur nos têtes crépues, j’étais moi, dans la rangée de droite au troisième banc, troisième place, fasciné par le Suisse: un Nègre-créole!

Enfin nègre,  pas un gros nègre noir comme deux nuits essorées, mais une variante de nègre quand même, c’était un grand chabin.

Le Suisse n’était pas placé du côté sacré ou spirituel, pas du côté de l’autel et du tabernacle, mais de notre côté de la Table Sainte, du côté des fidèles, donc des pécheurs, des pénitents. Il était là pour faire régner l’ordre divin: chacun à sa place.

Debout au beau milieu de l’allée centrale, les jambes légèrement écartées, il avait fière allure dans son costume de Garde Suisse. Sur la tête chapeau bicorne noir bordé d’un galon d’or, il portait veste justaucorps rouge et noire semblable à celle des picadors dans les arènes de corridas. Je le vois encore aujourd’hui dans mes souvenirs, une grande hallebarde avec un pic à crochet dans la main gauche, tandis qu’en main droite il tenait un bâton au pommeau en cuivre. Bâton avec lequel il tapait le carrelage de l’allée centrale pour indiquer aux fidèles qu’il fallait se mettre debout, s’asseoir ou s’agenouiller.

Quand nous, nous les enfants, chuchotions quelque chose entre nous, au lieu de suivre la messe qui en ce temps-là se disait en latin, langue dans laquelle nous ne comprenions goutte,  il nous regardait en faisant de gros yeux et nous étions terrorisés, car nous pensions qu’il avait le pouvoir de nous faire envoyer brûler en Enfer.

C’était encore le Suisse qui ouvrait les processions dans les rues de la commune, en plein soleil, quand le prêtre, lui, sous un dais doré, portait le Saint-Sacrement.

Le Saint Sacrement pour nous c’était Dieu en personne, une croix  en or avec de nombreux rayons dorés qui étincelaient et aveuglaient au point que nous baissions les yeux en nous signant quand il passait à notre hauteur.

Le Suisse, était sans doute une vraie personne, un individu ordinaire, dans la vie privée, mais il était probablement soumis à des contraintes de réserve car je ne l’ai jamais rencontré, ni même aperçu, où que ce soit dans la commune. Sans doute qu’une fois débarrassé de son costume et de ses attributs de Suisse, était-il méconnaissable, cependant je le vois mal à la boutique du coin en train de boire ou de jouer aux dominos.

Le Suisse reste, dans mes souvenirs d’enfant, un être mythique. Il est vrai qu’en ce temps-là il n’existait pas encore pour nous, enfants de Guadeloupe, de Père Noël.

Hector Poullet

Photos: Église de Port-Louis et Ostensoir. F. Palli


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