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Calendrier des métiers en voie de disparition
Juillet 2018

Darius, le dernier Maître Potier

Hector Poullet

Photo Francesca Palli.

Darius avait déjà un âge certain quand je l’ai connu. J’étais le professeur de l’un de ses fils. Il habitait les Hauteurs de Bananier, région de terre glaise, mais il avait son atelier de poterie au bord de mer, à P’tit Bois, éloigné de quelque cinq kilomètres de sa maison. Il parcourait ce trajet deux fois par jour, le matin pour se rendre à sa poterie, le soir pour rentrer chez lui.

Il était de taille moyenne, un corps d’ascète, la peau cuivrée, les yeux bridés, les pommettes hautes, le regard perçant. Toujours calme, il parlait peu  et lentement, sauf quand il avait l’occasion de rencontrer quelqu’un qui s’intéressait à la poterie.

Bien sûr je ne l’appelais pas Darius, mais monsieur Abadie. Nous étions quelques rares professeurs du collège de Capesterre à apprécier son travail, mais surtout sa persévérance, son acharnement à vouloir faire de la poterie uniquement à partir de matériaux de notre environnement. Pas question d’importer quoi que ce soit!

Avec le temps, quelques lectures tout de même, mais surtout à force d’expérimentation, d’échecs et de réussites, il avait accumulé un énorme savoir. Il connaissait, par exemple, la nature de toutes les argiles de la région, les rouges, les vertes, et même il disait savoir où trouver de l’argile blanche, du kaolin. Mais il ne faut pas s’imaginer qu’il suffit de récupérer l’argile et de la travailler au tour, puis de mettre au four.  Il disait qu’il fallait l’entreposer à l’abri de l’eau, en  un tas qui devait reposer pendant plusieurs années avant de s’en servir. Il racontait que les Chinois préparaient ainsi la terre une génération à l’avance.

Par ailleurs l’argile avait besoin d’être mélangée à certains sables, pour que la pâte, au cours de la cuisson, ne se fendille pas. Le meilleur sable, selon lui, était ce sable noir très fin et riche en fer qu’il trouvait sur le rivage de Bananier au pied de son atelier.

Maître potier, il n’avait pas eu de formation académique et je me suis toujours demandé comment il avait été formé car il savait tout faire. Il avait fabriqué lui-même son tour avec une jante de tracteur. Il avait construit son four, en partie sous terre, en terre réfractaire qu’il obtenait en mélangeant l’argile à la pouzzolane volcanique mêlée à la chaux qu’il fabriquait à partir de coraux morts récupérés sur la plage. Il fabriquait la barbotine, cette espèce d’enduit qui recouvre la poterie crue avant cuisson, à partir de pigments  de roche extraits des flancs de la Soufrière.

Il  aimait, quand nous revenions de voyage, qu’on lui rapporte quelques belles poteries, il s’efforçait alors de les reproduire à l’identique.

Notre Maître Potier nous a quittés en laissant son atelier en déshérence,  sans un apprenti pour prendre la relève, car potier n’est pas un métier qui nourrit son homme. Dommage que personne n’ait eu l’idée de l’engager comme  maître potier de son vivant car je le soupçonne d’avoir des ascendants Kalina, et c’est probablement  de ces derniers qu’il tenait sa passion de la terre. Il m’avoua boire chaque matin au réveil un verre d’eau argileuse qu’il avait fait décanter toute la nuit. Il a vécu jusqu’à un âge très avancé.

Honneur et Respect pour notre dernier Maître Potier.

Photo Francesca Palli.

 

Viré monté