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Les Bleus sur le toit
de la planète foot? Oui, mais…

Hugues Saint-Fort

Ainsi donc, la France est sacrée championne du monde après avoir battu la Croatie par 4 buts à 2 en finale de la Coupe du Monde. Vingt ans après leur première étoile face au Brésil, les Bleus se hissent de nouveau sur le toit de la planète foot au grand bonheur d’une nation de 67 millions d’habitants qui est devenue folle du sport le plus populaire au monde et d’une équipe qui a conquis le cœur de tous les passionnés du ballon rond. Une fois de plus, c’est un onze de France multicolore, multiculturel qu’on avait baptisé en 1998 «black-blanc-beur» car il devait représenter une nation métissée et unie, malgré les différences culturelles et sociales. La suite allait démontrer que les réalités étaient plus fortes que les rêves, aussi doux soient-ils. La société française s’est révélée fracturée, séparée socialement et économiquement, répartie entre communautés divisées ethniquement et religieusement, marquées négativement selon les lieux géographiques ou les expressions linguistiques.

Ce n’est pas par hasard que la dernière élection présidentielle (mai 2017) a vu l’éclatement des traditionnels partis politiques français qui constituaient pendant longtemps le soubassement de la vie politique. Alors qu’on croyait que tout allait reprendre sous un jour nouveau, le nouveau président, Emmanuel Macron, qui s’était fait élire en se présentant comme n’étant ni de gauche, ni de droite, doit faire face maintenant à une opposition de plus en plus enhardie qui l’affuble de l’épithète de «président des riches».

Y a-t-il une relation entre le  sport (le foot) et la politique ou les réalités sociales? Que nous dit le sport sur l’état de la nation? Longtemps, la France s’est voilée la face sur les rapports entre le foot et les réalités sociales. Le phénomène «black-blanc-beur» surgi en 1998 s’est chargé de lui enlever son innocence. Le populisme et la démagogie de l’extrême-droite du Rassemblement National de Marine Le Pen, dont la présence risque de constituer un cauchemar pour la démocratie occidentale, ne sont pas prêts de s’évanouir.

Avec le foot, la France est entrée définitivement dans l’ère du sport comme moyen de s’en sortir, d’acquérir la célébrité et «un pognon fou». Les enfants des classes populaires, les fils d’immigrés noirs ou maghrébins, les ultra-marins qu’on avait tendance à oublier, sont brusquement devenus les héros du jour. Après la victoire sur la Belgique en demi-finale la semaine dernière, j’ai vu à la télé une foule hurler à pleins poumons sur les Champs-Élysées cette phrase incroyable: «Umtiti président!» Samuel Umtiti est l’un des deux défenseurs centraux de l’équipe française, d’origine camerounaise, qui a grandi dans la grande banlieue lyonnaise, et qui a marqué le but de la qualification de la France pour la finale. L’autre défenseur central est Raphaël Varanne, ultramarin de Martinique, qui lui aussi avait marqué pour la France. Parmi les onze titulaires qui constituent le cœur de l’équipe de France, au moins six (Raphaël Varanne, Samuel Umtiti, Paul Pogba, Blaise Matuidi, N’Golo Konte et Kylian Mbappé) sont des joueurs de couleur de la seconde génération, donc des «multiculturels», et des ultramarins. Deux d’entre eux (Pogba et Mbappé) ont marqué au cours de la finale.

Il y a longtemps que dans la société étasunienne, le sport (et surtout les quatre grands: le baseball, le basketball, le football (américain) et le hockey) est devenu  l’outil de transfert d’une classe sociale défavorisée à une classe sociale supérieure, avec ce que tout cela comporte de célébrité et de reconnaissance sociale. En France, le foot et l’immigration  sont liés à la question des identités nationales. L’extrême-droite n’a jamais hésité  à questionner l’identité  nationale des joueurs de couleur qui évoluent dans la sélection nationale alors que ce sont eux qui  assurent les victoires du onze de France. Cette évolution a fait son chemin dans la société française et s’est installée, semble-t-il, pour de bon. Mais, la droite réactionnaire et l’extrême-droite anti-immigrants n’ont pas encore compris la marche de l’histoire.

Hugues Saint-Fort
New York, juillet 2018 

 Viré monté