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Le créole haitien (CH): clarifions un malentendu!

Par Pierre-Yves Roy
Juillet 2018

Pour vraisemblables que puissent paraître les critiques de Robert Berrouet-Oriol dans son article, “Le créole n’est pas “un produit de développemet durable”(Le National, 5 juillet 2018) en réplique à celui de Pierre-Yves Roy, “Comment transformer le créole haitien en un produit de développement” (Le National, 26 juin 2018), elles ne traduisent, aux yeux du lecteur avisé, que la courte vue du linguiste, sa mauvaise lecture et son incompréhension du texte de l’auteur, et quelques faiblesses académiques.

Avant d’examiner le jugement de Robert Berrouet-Oriol dont les paragraphes sont reproduits en italic dans ce texte, Pierre-Yves Roy aimerait préciser que cela n’a jamais été son intention de soumettre des thèses ni des articles scientifiques aux média haïtiens qui se proposent principalement de plaire au plus grand nombre possible de lecteurs. Par contre, il a souhaité publier des textes simples, brefs et très lisibles: accessibles à tous--surtout aux 10% des Haitiens qui maîtrisent le français. C’est la raison pour laquelle, il a pris soin d’aviser ses lecteurs à la fin de son article: “Si nous nous arrêtons ici, ce n’est pas que nous ayons épuisé tous les éléments du sujet qui--par définition-- sont multiples. Dans le champs restreint d’un article, j’ai négligé ou traité légèrement bien des choses. Je n’ai pas indiqué les moyens de promotion de la langue créole, qui sont immenses; non plus ai-je parlé du maintien du créole pour le garder concurrentiel; ni élaborer sur les moyens de distribution des services et produits en créole. J’ai laissé ces paramètres au soin des responsables qui trouveront les expertises nécessaires pour en trouver les ressorts.”

Pour critiquer justement le travail de quelqu’un, il importe d’abord de se dépouiller de son excentricité et de son préjugé; il faut aussi déblayer son esprit de toute mauvaise pensée tendant à embarraser l’autre. Également devait-on comprendre l’œuvre et pouvoir saisir la psychologie qui l’imprègne. Robert Berrouet-Oriol a-t-il abordé les réflexions de Pierre-Yves Roy avec impersonnalité? Les a-t-il comprises ou fait-il semblant de ne pas les avoir pénétrées afin d’accabler l’auteur?  Dès le début de son exercice malintentionné, Robert Berrouet a trébuché, car contrairement au titre de l’article du critique, “Le créole haïtien n’est pas «un produit de développement durable», Pierre-Yves Roy n’a pas écrit que le créole est un produit de développement durable. Son titre a été, “Comment transformer le créole haïtien en un produit de développement durable.” Un contre-titre, “Le créole haïtien ne peut pas être transformé en un produit de développement durable” aurait fait plus de sens. De surcroit, Robert Berrouet-Oriol semble n’avoir pas cerné le contexte dans lequel Pierre-Yves Roy a situé le mot “produit”: il parait qu’il l’a entendu dans un sens purement littéral et matériel, puisqu’il a fait allusion aux denrées alimentaires, mobilier, appareils électroniques, etc. Mais non! Le créole haïtien(CH) est un produit de l’esprit-- incorporel, intellectuel et culturel; c’est un bien immatériel pouvant jouer un rôle extrêmement important dans l’économie d’Haiti. Donc cette confusion dans l’esprit de Robert Berrouet-Oriol dénote une lecture erronée de l’article de PYR. Car cela lui a échappé de percevoir la différence entre un état et un processus dans le titre du texte de PYR: il a tout simplement placé le mot dans une petite boite.

Deuxièmement, Pierre-Yves Roy déplore la présomptueuse attitude de Robert Berrouet-Oriol, ce vain comportement qui a créé un fantôme linguistique dans l’esprit de nos masses, les amenant à haïr le français. Il pense que ce sont des gens de la trempe de Robert Berrouet-Oriol, sortes de tribuns au verbe haut, péroreurs sublimes qui, du haut de la chair, jugent et condamnent indifféremment les locuteurs francophones haïtiens défavorisés, prétendant connaître la langue de Voltaire mieux que tout le monde. De plus, la tragédie de Robert Berrouet-Oriol, c’est qu’il a commencé ses critiques en attirant ab initio des doutes sur sa qualification de linguiste. Son premier paragraphe piètrement édité jette des ombres sur son expertise et décourage le lecteur informé de continuer à le lire. Le paragraphe comporte un sérieux problème de ponctuation et de syntaxe. Robert Berrouet-Oriol écrit: ”L’article de Pierre-Yves Roy, «Comment transformer le créole haïtien en un produit de développement durable» (Le National, 26 juin 2018) mérite que l’on s’y arrête pour plusieurs raisons.[sic]Car à le lire avec la meilleure attention [sic] il s’agit manifestement d’un texte confus, verbeux, farci d’impropriétés lexicales et grammaticales [sic]et qui ne présente pas d’argumentation rigoureuse capable d’enrichir le débat linguistique.

Pierre-Yves Roy a jugé nécessaire de ré-écrire le paragraphe ainsi: “L’article de Pierre-Yves Roy, “Comment transformer le créole haïtien en un produit de développement durable” (Le National, 26 juin 2018) mérite que l’on s’y arrête pour plusieurs raisons: le texte est confus, farci impropriétés lexicales et grammaticales, et ne présente pas d’argumentation rigoureuse, capable d’enrichir le débat linguistique.” Entre ces deux paragraphes, lequel est le plus confus, verbeux…?  

Le second paragraphe plein de prétention et dépourvu de perspicacité de Robert Berrouet-Oriol n’a pas moins insulté le lecteur par sa redondance et ses irrégularités syntaxiques, son illogisme et son arrogance.  Robert Berrouet-Oriol écrit: Une première observation [sic] s’impose. De manière générale, on conviendra que tout citoyen a le droit de s’exprimer sur la problématique linguistique haïtienne: celle-ci n’est pas la chasse gardée des linguistes [sic] et les spécialistes des sciences du langage doivent être à l’écoute de l’opinion des sujets parlants. En revanche, lorsque des non linguistes[sic] estiment être capables de proposer une manière de voir sinon des «solutions» relatives à l’aménagement linguistique en Haïti, ils doivent à leur tour être réceptifs aux enseignements comme aux perspectives formulées par les professionnels de la langue. Mais en ce qui a trait à l’aménagement du créole aux côtés [sic] du français, l’amateurisme, il faut en convenir, est une bien mauvaise boussole…”  Un autre paragraphe que Pierre-Yves Roy doit reformuler: “De manière générale, on conviendra que tout citoyen a le droit de s’exprimer sur la problématique linguistique haïtienne: celle-ci n’est pas la chasse gardée des linguistes, et les spécialistes des sciences du langage devaient être attentifs à l’opinion des sujets parlants. En revanche, lorsque des non-linguistes s’estiment capables de proposer des “solutions” relatives à l’aménagement linguistique en Hait, ils tâcheraient, à leur tour, d’être réceptifs aux enseignements comme aux perspectives formulées par des professionnels de la langue. Mais en ce qui a trait à l’aménagement du créole à côté du français, l’amateurisme est une mauvaise boussole…”

Ayant démontré l’incompétence de Robert Berrouet-Oriol dans les déficiences précédentes, Pierre-Yves Roy doute qu’il ait beaucoup à apprendre du linguiste RBO, d’autant plus que son approche du sujet fut plutôt socioéconomique.  

Le propos éditorial [sic] du «financier administrateur des affaires» mérite d’etre bien compris en dépit de sa tortueuse formulation.

Ce n’est pas de cette manière que Pierre-Yves Roy s’est présenté. Il l’a fait en tant que, “financier et administrateur des affaires. Dans la pratique, il y a une très grande différence entre un financier et un administrateur des affaires. Certes, les deux sont des administrateurs, mais chacun s’occupe d’une différente sorte d’administration. L’un, c’est la finance et des biens, l’autre, les ressources humaines et autres tâches corollaires. Alors, Pierre-Yves Roy se demande est-ce que Robert Berrouet-Oriol cache une malice derrière son “financier administrateur”. Est-ce par négligence ou par intention que Robert Berrouet Oriol a écrit, “financier administrateur” pour déformer le titre de Pierre-Yves Roy et confondre les lecteurs?  

«La tâche d’établir le CH [créole haïtien] comme seule langue officielle d’Haïti nous est échue [sic] d’un ordre économique et sociolinguistique de taille, qui se fond [sic] sur les trois paramètres suivants: (i) Haïti manque de moyens adéquats pour aménager équitablement deux langues officielles; (ii) la faillite [sic] de la langue française en Haïti, qui affiche un taux inférieur à 10% de locuteurs après plus deux siècles de pratique; (iii) le classement [sic] du créole comme seule langue officielle d’Haïti serait une source de revenus non négligeable à l’économie du pays.» Telle est donc la «thèse» centrale de Pierre-Yves Roy: faire du créole la seule langue officielle d’Haïti serait, pour le pays, une source de «revenus» non négligeable. Le lecteur attentif aura noté que le «financier administrateur», loin d’en faire la démonstration argumentée, se garde de chiffrer de tels revenus à l’échelle du pays.  

Demander des chiffres à Pierre-Yves Roy dans un article, comme preuve “d’argumentation rigoureuse et crédible” c’est d’afficher son ignorance de la méthode d’opération des professionnels de sa catégorie. Pierre-Yves Roy travaille avec des bilans, des budgets, des organigrammes et des stratégies. Il a trouvé que le média n’est pas la place appropriée pour faire état de ces données. Aussi, réclamer des chiffres à Pierre-Yves Roy se révèle une grosse injustice de la part de Robert Berrouet-Oriol qui n’a pas pu, non plus, présenter des chiffres pour soutenir ses illusions d’aménagement du créole haïtien et du français en Haïti?   

Selon la même «logique» de l’absence de démonstration, Pierre-Yves Roy ne juge pas utile de démontrer qu’«Haïti manque de moyens adéquats pour aménager équitablement deux langues officielles».

À moins que Robert Berrouet-Oriol vive dans les nuages pour ne pas être touché de l’impasse économique que confronte Haiti!

Et confondant l’objet-langue et les moyens mis en œuvre pour l’acquérir, le «financier administrateur», sans doute le seul à avoir mené des enquêtes démolinguistiques au pays, pose qu’en Haïti la langue française en «faillite», dit-il, «affiche un taux inférieur à 10% de locuteurs». Il y a lieu ici de rappeler que le domaine des statistiques démolinguistiques n’est pas un avatar fantaisiste et qu’aucune institution nationale jusqu’ici n’a fourni de données d’enquête sur le nombre de francophones au pays.

En défense, j’’accorde la parole à deux interlocuteurs, 1) “Le français, langue seconde en Haïti, est utilisé dans l’administration, l’enseignement et dans la presse. Le français est apprise à l’école. Même après le bac, ceux qui maîtrisent parfaitement la langue de Voltaire sont peu nombreux. Seulement 10% d’Haïtiens parlent vraiment le français.”1 

“En effet, que la langue française soit encore comprise en Haïti, deux cents ans après la rupture marquée par la proclamation de l'indépendance nationale le premier janvier 1804, relève du miracle. Car rien, a priori, ne laissait présager pareille survivance, ni le regain de vitalité des dernières années. Confiné à la sphère de l'enseignement et de l'administration publique, le français aurait pu disparaître à la faveur de la montée en puissance du créole en tant que seconde langue officielle, à la faveur également de la concurrence victorieuse de l'anglais qui est devenu peu à peu la langue de référence des élites locales. La vivacité du français étonne au regard du faible nombre de locuteurs maîtrisant réellement la langue: à peine 10 % de la population.”2

La suite du propos en zigzag de Pierre-Yves Roy n’apporte pas davantage d’arguments éclairants et crédibles. Ainsi, «Comme il en est [sic] pour toutes les autres langues, la connaissance du CH [créole haïtien] est un capital intellectuel qui est convertible en revenu.» En quoi consiste ce «capital intellectuel»? De quelle manière ce «capital intellectuel» serait-il «convertible en revenu» et de quel «revenu» s’agit-il? En quoi consiste, de surcroît,  «la valeur marchande du créole haïtien»?

Dans le domaine des finances, tout a une valeur marchande, une valeur économique. Tout a un prix: espace, air et culture. La culture d’un peuple--sa langue, précisément--est un capital immateriel, intellectuel qui peut être comptabilise. Dans son article, Pierre-Yves Roy a suggéré des marches à suivre pour matérialiser  le créole haïtien.

Contrairement à ce qu’avance Pierre-Yves Roy, le créole n’est pas un «produit», il faut bien le comprendre, «pareil à l’artisanat haïtien» ou semblable aux biens de consommation courante (denrées alimentaires, mobilier, appareils électroniques, etc.). Assimiler le créole haïtien à un «produit», au sens économique et sociologique du terme, est un non sens porteur de confusion.

Qu’est-ce que c’est qu’un’un produit? Selon Le Petit Larousse, un produit est a) ce qui résulte d’une activité quelconque de la nature; b) ce qui résulte d’une activité: produit industriel, par exemple.” Étant le résultat d’une activité intellectuelle, le créole haitien (CH) est devenu un produit culturel. Mais un produit, non pareil aux denrées alimentaires, mobilier, appareils électroniques, etc. entendus par Robert Berrouet-Oriol. Plutôt,il a insinué que le créole haïtien (CH) peut devenir un produit intellectuel, immatériel, convertible en revenus.Exemple: la création en Haïti de nouvelles universités spécialisées dans l’enseignement du créole haïtien (CH) où des étudiants étrangers et haïtiens acquéraient des doctorats en créole haïtien (CH), et obtiendraient des tenures pour l’enseigner dans des universités étrangères.

La vacuité de la critique de Robert Berrouet-Oriol sur l’emploi de Pierre-Yves Roy du concept, “dévéloppement durable” a incité Pierre-Yves Roy à questionner les techniques académiques appliquées par RBO pour évaluer témérairement les autres. Pierre-Yves Roy se demande, “Quelle est la raison de l’information prodiguée par  RBO sur la genèse de l’histoire du vocable “développement durable”--une insertion inutile qui a occupé trop de place dans les colonne d’un journal? Est-ce de la pure pédanterie?  Robert Berrouet-Oriol continue écrit, “L’auteur ne semble pas non plus connaître le sens précis de la notion [sic] de «développement durable» puisqu’il propose de « (…) transformer le créole haïtien en un produit de développement durable». «L’expression «sustainable development», traduite de l’anglais par «développement durable», apparaît pour la première fois en 1980 dans la Stratégie mondiale de la conservation, une publication de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Quelques années plus tard, elle se répandra dans la foulée de la publication, en 1987, du rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Notre avenir à tous (aussi appelé rapport Brundtland, du nom de la présidente de la commission, Mme Gro Harlem Brundtland). C’est de ce rapport qu’est extraite la définition reconnue aujourd’hui: «Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs.» (Gouvernement du Québec). Il eût été juste de poser que le créole peut et doit accompagner des activités (économiques, sociales, culturelles, éducatives, etc.) dans la perspective d’un développement durable. Aussi, vouloir « (…) transformer le créole haïtien en un produit de développement durable» est un non sens lui aussi porteur de confusion à la fois sur l’idée de développement durable et sur le rôle institutionnel que doit remplir le créole dans l’entreprise d’aménagement linguistique.

Pierre-Yves Roy déclare avoir mieux cerné le sens du concept, “développement durable” que Robert Berrouet-Oriol ne l’a fait, puisque c’est sui generis et prégnant que le terme lui est parvenu à l’esprit. C’est-à-dire que Pierre-Yves Roy a tout simplement joint le vocable ,“développement” et l’adjectif, “durable”.  Ainsi, sa compréhension du concept, “développement durable” a transcendé les limites de la définition moderne. Il faut se rappeler que les mots, “développement” et “durable”, existaient dans le dictionnaire bien avant 1980. Pierre-Yves Roy les a utilisés dans leurs sens étymologique et littéral. Le créole haïtien, devenu un produit culturel impérissable, peut contribuer durablement au développement d’Haiti.

Pour conclure, Pierre-Yves Roy estime qu’il a aussi le droit de demander à Robert Berrouet-Oriol de chiffrer ses rêves de l’aménagement du français et du créole en Haïti: de présenter un budget et une stratégie pour le concrétiser. En maintes fois, Pierre-Yves Roy a trouvé l’opportunité d’exiger de Robert Berrouet-Oriol qu’il apporte, en tant que linguiste, une contribution plus palpable dans l’enrichissement du créole haïtien (CH) qui dépend à 80% du français, au lieu de constamment soumettre des copier-coller à son lectorat.  Pareillement, Pierre-Yves Roy croit qu’il pouvait lui aussi exhorter le linguiste Robert Berrouet-Oriol à être plus prudent, plus soigneux et plus considérant dans ses écrits. Similairement, il pouvait exposer les ambiguités, les irrégularités syntaxiques, les redondances, les affectations linguistiques…de Robert Berrouet-Oriol.

Il est évident qu’on peut toujours trouver des peccadilles dans le texte des autres pour les juger superficiellement. Mais abîmer un intellectuel qui essaie de contribuer gratuitement à la solution de la problématisation linguistique en Haïti n’est pas du style de Pierre-Yves Roy.

Pierre-Yves Roy  

Notes

  1. infrarouge.mondoblog.org/2017/07/05/le-francais-en-haiti-un-stigmate
     
  2. Théodat Jean-Marie, Haiti, le francais en héritage, HERMES-no 40-FRACOPHONIE, 2004.

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